Associations « en fusion » : mythes et réalités

24 septembre 2018
Catherine Broyez
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Comment aborder avec clairvoyance un rapprochement ? Un retour d’expérience après 20 accompagnements de rapprochements conduits par COOPESSANCE

La fusion est-elle le graal annoncé pour les associations ? Le changement d’échelle induit par un rapprochement est-il la solution magique pour relancer l’activité, retrouver des bénévoles et de nouveaux financements, redonner confiance aux financeurs… ? L’enthousiasme suscité chez certains dirigeants par cette perspective n’a d’égales que les réactions épidermiques de rejet qu’elle peut provoquer auprès d’administrateurs ou ds salariés. Moment fort de la vie d’une structure impactant son identité même, la fusion des associations véhicule mythes et réalités. Alors, fusion d’associations ou associations « en fusion » ? Tentons une analyse distanciée…

Catherine Broyez, fondatrice du cabinet COOPESSANCE* entièrement dédiée à l’accompagnement du changement pour les structures de l’Economie Sociale et Solidaire, a réalisé 20 accompagnements de rapprochements depuis 4 ans, la plupart dans le cadre du DLA ou du FRIO et dans des secteurs très divers (médico-social, culture, solidarité internationale, insertion, environnement, citoyenneté…). Elle propose une approche systémique de l’étude de faisabilité préalable, intégrant toutes les dimensions impactées : projet, gouvernance, organisation, modèle économique, aspects RH, partenariats, communication. Sa posture est résolument neutre : elle ne fait pas la promotion d’un type de rapprochement, est indépendante des financeurs et son objectif est clair : aider toutes les structures impliquées à prendre la bonne décision, en connaissance de cause des impacts prévisionnels, dans une approche participative ouverte à tous les acteurs internes, bénévoles ou salariés.

Sa pratique nourrit ici un retour d’expérience. Certes, il ne s’agit que d’un périmètre restreint, autour de cas particuliers. Cette analyse ne prétend ni à l’exhaustivité des situations, ni à l’analyse scientifiquement et statistiquement fondée. Elle offre en revanche un regard qui peut être éclairant sur la diversité des scenarii, pour les associations qui envisagent un rapprochement : l’on ne peut jamais prédire la fin du film tant que tous les acteurs n’ont pas pris la pleine mesure des conséquences, positives ou négatives, d’un rapprochement pour leur structure. Et parfois, au fil du chemin, les égos, la loi ou la politique s’invitent dans la réflexion et bousculent les schémas envisagés… A quoi aboutissent dans les faits ces démarches de rapprochement ?

LA GRANDE DIVERSITE DES SITUATIONS ET DE SCENARII DE RAPPROCHEMENT

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Fusion voulue, positive : les structures se sont engagées volontairement, souvent avant une incitation institutionnelle explicite. La fusion est actée, opérante, avec des apports positifs (missions renforcées, territoires étendus, financements sécurisés, visibilité accrue…). La nouvelle gouvernance conjugue représentation équilibrée des anciennes structures, nouvelles expertises et remobilisation des administrateurs et bénévoles. Sur le plan de l’organisation, les fonctions supports et les prestations externes sont regroupées, générant des économies d’échelle, les échanges de pratiques entre professionnels et les fertilisations croisées sont favorisées.

Fusion forcée : l’initiative de la fusion provient des financeurs, de façon plus ou moins explicite, souvent dans le cadre de re conventionnements ou appels à projet (Département, DDCS, Région, ARS…). Moins bien vécue dans la forme, la fusion peut cependant apporter aussi des effets positifs et convaincre de sa pertinence à moyen-long terme. Des effets négatifs sont fréquents, notamment avec des acteurs, salariés ou bénévoles, qui quittent le navire car ils ne se reconnaissent plus dans le projet.

Mutualisations : le projet initial pouvait être uniquement de mutualiser des moyens, première étape ou non avant une fusion. Ex : mise à disposition de personnel, partage de fonctions supports, d’outils (auto-école, bâtiment, plateforme de vente commune…), démarches (réponse commune à des appels à projet, plaidoyer). Il ne s’agit pas d’un échec de la fusion car ce n’était pas l’intention des structures. Ces rapprochements peuvent s’inscrire dans des logiques de réseau, soutenues par les partenaires.

Pas de fusion, neutre : après l’étude de faisabilité, des points de blocage ont été considérés comme indépassables par les structures (différences de pratiques ou d’approches professionnelles (économique/militant, individuel/collectif, terrain/institutionnelle, salariés ou bénévoles prédominants…), surcoûts qui auraient été générés par une fusion (distances entre les sites, perte de locaux gratuits, coûts de coordination…), formats juridiques inappropriés lorsque par exemple l’une des associations est adossée à un établissement public.. Les structures n’ont pas donné suite au projet de rapprochement, mais sont restées en bons termes, n’excluant pas des mutualisations ultérieures. Elles ont aussi appris à mieux se connaître.

Pas de fusion, conflit : le projet de fusion était celui des dirigeants qui n’avaient pas pris la mesure des résistances des administrateurs ou des salariés ; l’étude préalable a mis en exergue des divergences qui avaient été minimisées au départ (pour remporter la décision de fusion) ; la traduction concrète de la fusion en impacts organisationnels ou de gouvernance a finalement fait reculer l’une des structures, ou même les deux. La confiance réciproque est perdue car, par exemple, des décisions unilatérales précipitées ont été prises avant la fusion par l’une des structures (ex : nomination d’un co-directeur non validé par l’autre structure, choix d’un cabinet comptable par une structure qui souhaite « marquer son territoire » de force). Les coopérations ultérieures seront difficiles…

L’on constate que les voies sont multiples vers la coopération. Multiples mais aussi parfois tortueuses, semées d’embûches, ou alors couronnées de succès et pourvoyeuses de bonnes surprises… Notre expérience à COOPESSANCE nous enseigne l’humilité pour les démarches de rapprochement (nul ne détient d’emblée la « bonne « solution) et impose une posture de très grande ouverture sur la variété des possibles. Et il s’agit d’entraîner les dirigeants à adopter cette même posture, alors que l’enjeu pour leur association est de taille puisqu’il y va souvent de l’identité, voire de la pérennité même de leur structure.

Autre constat : la prise en compte des informations techniques (statut juridique, données comptables et fiscales, impacts en gestion RH) qui font souvent l’objet de la demande initiale d’accompagnement par les associations, est loin de suffire à assurer la pertinence et la viabilité de la démarche. Les dimensions humaines et relationnelles apparaissent clairement à nos yeux comme tout autant déterminantes. Mais elles ne sont jamais exposées clairement d’emblée, et là réside la difficile mission de l’accompagnateur qui joue parfois le rôle de démineur !

POUR PRENDRE LA BONNE DECISION : OBJECTIVITE, PRECISION ET DIPLOMATIE SONT DE MISE

Cette analyse pourrait être perçue comme un appel à la prudence, voire un plaidoyer anti-fusion. Il n’en est rien : nous sommes convaincus qu’une préparation minutieuse et sans parti pris permet d’éviter les revirements intempestifs ou les mauvais choix. Bien souvent, c’est d’un défaut de préparation en amont de la décision que proviennent les surprises ou les déconvenues. Quelques conseils aux structures candidates aux rapprochements :

  1. Prendre le temps de l’étude précise de faisabilité : il s’agit d’un travail conséquent mais indispensable, couvrant les champs juridiques, économiques et humains. 3 à 4 mois sont généralement requis. La précipitation est mauvaise conseillère.
  2. Solliciter un intervenant extérieur garant de l’expertise et de la neutralité de la démarche. Connaître les dimensions juridiques et économiques des rapprochements, présenter les différentes options, témoigner de l’expérience d’autres structures, alerter sur les conséquences des choix, donner la parole à chacun, faire émerger les questions, « pousser » les dirigeants à exprimer leurs ambitions… De notre expérience, les compétences complémentaires de 2 experts (projet/RH et juridique) sont nécessaires.
  3. Prendre le temps de la maturation auprès de tous les acteurs internes : pour « embarquer » les CA, les équipes, ne pas sous-estimer le temps requis pour l’étape cruciale consistant à expliquer, présenter les options, ouvrir le débat, co-construire la nouvelle organisation… Temps variable selon les structures et les profils d’acteurs, et pouvant se déployer en parallèle de l’étude de faisabilité. Un temps de 18 mois entre le début de la réflexion et la mise en œuvre effective dans le cas d’une fusion semble une option raisonnable.
  4. Ecouter isolément chaque structure : c’est dans le huis clos et par la médiation d’un tiers extérieur neutre que se disent les craintes, les attentes, les perceptions positives ou négatives sur l’autre structure. Opération déminage indispensable !
  5. Donner à tous la même information au même moment : c’est par la simultanéité de l’information pour tous les acteurs internes, bénévoles ou salariés, que l’on préviendra les frustrations, rumeurs, incompréhensions qui sont autant de facteurs potentiels de blocage du processus de rapprochement.
  6. Faire preuve de souplesse pour s’adapter aux aléas, pour accueillir de nouveaux schémas proposés et enrichir la réflexion, fruit de la co-construction. Le point d’arrivée du processus de rapprochement est toujours différent de celui imaginé initialement par ses promoteurs. Un nouvel acteur, un changement réglementaire, une nouvelle proposition d’organisation peuvent infléchir le processus.
  7. Pour les dirigeants, une pratique nourrie de la diplomatie sera requise pour conduire les différents temps de réflexion collective qui mènent jusqu’au rapprochement. Pour ne pas brûler les étapes malgré l’envie qu’ils en auront parfois, pour écouter vraiment les oppositions, en prendre la mesure et y répondre, pour bénéficier de l’intelligence collective de toutes les parties prenantes, pour favoriser la co-construction de la nouvelle organisation.Un rapprochement entre 2 structures peut être assimilé à un mariage entre 2 personnes, induisant un changement dans le mode de vie au quotidien, le statut juridique, le patrimoine, parfois même le nom et la domiciliation. On mesure ainsi la force de l’impact pour les acteurs internes et les parties prenantes : il y va de sa propre identité… Pas étonnant que certains y rechignent ou refusent de s’embarquer au dernier moment ! Pourtant, les rapprochements réussis et les mariages heureux existent. Pas de recette magique ou de modèles réplicables à l’identique, à chacun de tracer son propre chemin. Mais des expériences inspirantes peuvent y aider !